Injonctions à la volée.

Injonctions sucrées ou salées ? Bienvenue chez UGC

7 minutes

  1. Double injonction
  2. Style sociolectal
  3. La défaite rhétorique
  4. Confusion des espaces énonciatifs
  5. Solutions possibles
  6. Conclusion

Cet article n’est pas un plaidoyer sur le recyclage ou le sport, ni un pamphlet sur la malbouffe. Il cherche à mettre en lumière les travers de la communication de marque. Alors quand un exemple réunit plusieurs écueils, l’occasion est trop belle.

Pour notre cas présent, la communication aurait oublié que l’auditoire peut être un poil sensible. Elle tombe dans un dialogue moralisant. Et ce, en se servant d’injonctions qui, dans son contexte, produit des effets, qu’on suppose – et c’est un euphémisme – dysphoriques.

C’est du moins ce que la communication sur la boîte de pop-corn, portée par le nouveau partenariat conclu avec l’agence Brainsonic, induit.

Et pour s’en convaincre, rien de mieux qu’une analyse détaillée.

Double injonction

Le premier fait a relevé est évidement celui des injonctions morales. Elles sont doubles : la première pour le recyclage, la seconde sur l’activité physique, qui en induit une troisième : l’alimentation équilibrée.

En mettant les deux premières dos à dos, elles se mutualisent. En faisant la première, on fait aussi la seconde. Se produit ici un mécanisme d’adjonction-résolution, de complétion, qui produit un effet véridictoire puissant, de vérité générale (« le sucre fait grossir »).

En termes modaux, la première et la deuxième injonction valorisent un devoir-faire, pour réaliser un devoir-être : rester mince. Il y a donc comme un arrière monde recouvert d’injonctions duquel émerge l’énonciation.

Style sociolectal

Car à trop insister sur une communication qui met l’accent sur l’intériorisation de la sensation, en surlignant la « phraséologie », la syntaxe, le chant du message, à défaut de l’empathie nécessaire pour se mettre à la place du récepteur, on oublie que la réussite de la communication repose beaucoup sur l’effet produit.

Essayons-en une : à défaut d’avoir une alimentation équilibrée, le spectateur passif et engoncé aurait pu voir que beaucoup d’amélioration pour sa vie quotidienne sont à sa portée, si seulement pouvait-il le comprendre.

Non content d’exprimer des injonctions culpabilisantes, l’aspect péremptoire de la phrase biphasique, modulée par le « déjà », rappelle au spectateur qu’il n’avait pas vu ce qui, pourtant, lui aurait été bien utile : un minimum d’activité physique.

La défaite rhétorique

La particularité de l’énoncé présenté ici est la collusion de deux injonctions, dont l’assemblage est brutal. Ce qui nous est confirmé par l’objectif pragmatique du message, le faire-faire au spectateur (recycler l’emballage), énoncé d’emblée : « jeter cet emballage ». Son aspect impératif est simplement adouci par le pseudo-gain de la seconde proposition (« ne pas trop faire de sport »).

Mais cette induction impose la condition que le destinataire soit en quête d’une activité physique, ce qui n’est en rien obligatoire. N’est-ce pas l’essence du plaisir que de se déculpabiliser de franchir des impératifs moraux ?

C’est donc une fausse complicité qui s’affiche puisqu’on dit tout de suite ce qui est recherché. Alors que c’est justement le destinataire qui devrait se réapproprier le message, le conquérir pour le comprendre. Comme si la réduction philosophique de l’activité sur le mouvement allait soulager le stigmate, alors qu’elle n’est qu’une pitié mal placée.

Confusion des espaces énonciatifs

La première injonction sur le besoin d’activité physique ne peut empêcher de produire une interrogation sur le bienfondé du grignotage. La deuxième, sur le recyclage, n’est pas claire non plus, puisqu’elle répète ce qui est déjà dit ailleurs sur le paquet. En oubliant au passage de préciser que l’emballage devait être jeté précisément dans une poubelle prévue à cet effet.

En effet, les boîtes de pop-corn ont, comme beaucoup d’emballages en carton vendues à l’unité, l’icône de recyclage apposée sur le bas de la boîte. Celui-ci indique comment utiliser, pendant comme après, la fameuse boîte. C’est en quelque sorte le mode d’emploi, zone conventionnelle, mais neutre, vis-à-vis de l’énonciateur.

Y’a-t-il donc besoin de répéter de manière explicite ce qui est indiqué au bas de la boîte ? C’est en tout cas le signe d’une confusion des plans entre indication d’usage (l’icône recyclage) et la communication corporate.

Pour cette dernière, l’espace du message, censé être synonyme de liberté, est imbibé d’une indication d’usage, qui est censée, elle, être le décor, l’alentour des contraintes dont la liberté revendique l’émancipation.

Solutions possibles

  1. Pour éviter le redoublement du message, on peut, par exemple, jouer sur l’aspect dérangeant du pop-corn : « Crountch, crountch, crountch » ou « Silencieux une fois vidé » si l’on veut appuyer sur l’indicatif de l’emploi.
  2. On peut aussi jouer la carte du second degré en assumant la connivence. Mais si on la joue, on la joue à fond. Souvenons-nous de ce que disait Freud : « Lorsqu’on recule sur le mot, on recule sur la chose. »

    Pour parler du stigmate, il faut dire le stigmate, sans tenter de faire un embrouillamini de plusieurs codes. On peut alors oser : « Manger fait grossir. » ou « Manger fait grossir. La pluie mouille. » si l’on veut faciliter l’interprétation. Et on conserve par là-même l’aspect véridictoire en déculpabilisant l’auditoire, si cela était nécessaire.

Conclusion

Finalement, le problème peut se résumer à une combinaison entre : (a) l’aspect apodictique du contenu, (b) l’aspect suggestif des conséquences et (c) l’aspect péremptoire du style qui donnent au message une lourdeur largement évitable.

Pour s’en prémunir, toute publication devrait se demander dans quel contexte pratique elle prend place. Car lorsqu’elle parle pour elle-même, lorsqu’elle recherche son code simplement pour se réconforter, le message est susceptible, au mieux, de créer une répétition, au pire, de mettre à distance ses interlocuteurs.


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