PARTIE 1 – Génétique
8 minutes
- Définition
- Élection aléatoire, succès indirect
- Fonction mythique
- Mascotte vs Personnage
- L’incertitude est créative
- Une mascotte se dépossède autant qu’elle se possède
La mascotte de marque est faite pour durer. L’historique du concept le montre : Bibendum, Mr Propre ou plus récemment Cetelem ont toutes tiré profit de leur existence.
Les mascottes ancrées dans les représentations collectives favorisent l’agrément. Elles jettent un pont, entre l’entreprise et le consommateur, où le lien économique est pour un temps suspendu.
Mais leur reconnaissance ne se fait pas du jour au lendemain. Si elles veulent faire de leur mascotte un atout, les marques devront suivre un cheminement plus élaboré qu’une simple personnification de marque.
Définition
Commençons par établir une première définition en disant d’abord ce que les mascottes de marque ne sont pas :
1 – Des mascottes sportives, de club ou d’événement : trop vaste pour les premières, trop rapidement oubliées pour les secondes, incompatible avec une image de marque sur le long-terme.
2 – Des personnages télévisuels (Rodolphe de Free, Cerise de Groupama) : ils sont surtout une forme d’expression sujette au média, plus influencés par une tendance de genre que par l’incarnation volontairement différenciée d’un personnage de marque.
3 – Des chatbots ou des personnages logographiques : même s’ils jouissent d’une bonne exposition, leur terrain de jeu est trop limité en comparaison de ce que la mascotte de marque est capable.
Proche de ces extensions, les mascottes en sont pourtant différentes. Leur portée est plus significative.
Élection aléatoire, succès indirect
Pour comprendre leur subtilité, il faut revenir au moment de la démocratisation du terme à la fin du XIXème.

Par la pièce de théâtre éponyme, E. Audrand démocratise sa définition de porte-bonheur. Les mascottes sont censées porter chance à leur propriétaire, c’est la leur valeur anthropologique, être une amulette, un porte-bonheur.
Dans cette pièce, la mascotte est un être vivant transférant à celui qui la possède un don de réussite implacable. Ce pouvoir, au demeurant, n’appartient pas à la mascotte, il est hérité de l’extérieur.
Ce transfert entre l’extérieur et son objet constitue la part d’imprévisibilité, de jeu – au sens mécanique comme au sens ludique – pour évoquer l’incertitude et l’aléatoire. Cette imprévisibilité forme l’intérêt du mythe, elle rend la mascotte magique et désirable.
En conséquence, cette désirabilité attise la lutte pour sa possession. Une fois possédée, la mascotte devient fonction qu’il s’agit pour l’entreprise de définir.
Fonction mythique
L’aspect magique des objets, des évènements ou des chiffres est intrinsèque à toutes les cultures à divers degrés. Si les marques souhaitent rendre leur mascotte fonctionnelle, elles doivent s’inspirer des croyances populaires.
Exemple avec le Nazar Boncuk : l’amulette repousse ce pour quoi elle est portée (i.e. le mauvais œil), dont elle prend au passage l’apparence. A ce titre, on est en droit de s’interroger : les mascottes doivent-elle forcément apparaître comme exemplaire ?

On peut au moins concevoir, au même titre que l’amulette, que les mascottes attirent les forces nuisibles (convergentes) vers elles et, de fait, les empêchent d’atteindre leur propriétaire. La mascotte aurait dans cette configuration, fonction de protection par attraction et répulsion.
À l’inverse, les forces bienfaisantes (convergentes aussi) seraient attirées, mais redirigées cette fois en direction de son propriétaire. La mascotte aurait fonction de protection par attraction et transfert.
C’est donc un mouvement de va et vient entre, d’un côté, une force positive ou négative et, de l’autre, la mascotte. Cette force (ou cet esprit) est reportée, ou non, via la mascotte, sur son propriétaire : la marque. Ce système préfigure le rôle que la mascotte peut tenir : une protectrice, un paratonnerre, un catalyseur en somme…
Ces fonctions sont-elles présentes sur le marché ? Pas de manière évidente. La majorité des mascottes restent dans le giron de la marque et s’en tiennent à une confirmation des bénéfices de l’entreprise.
Comment rendre compte de cet écart et réorienter les inspirations vers des créations habitées pour faire, à terme, de la mascotte un mythe ? D’abord en la distinguant de ce avec quoi elle se confond trop souvent : le personnage de marque.
Mascotte vs. Personnage
Ce qui différencie fondamentalement la mascotte et le personnage, c’est leur rapport à la légitimité du discours de marque :

- La mascotte est tributaire de sa propre existence, elle vit (quasiment) en dehors de l’autorité de son géniteur, bien que celui-ci soit toujours l’objet de l’énonciation. En conservant ses distances, la mascotte conserve plus de liberté que le personnage de marque.

- Le personnage, lui, ne peut s’éloigner de la marque : il est sa personnification. Il en porte également le nom. En tant qu’incarnation nominative, il prend à son compte le discours institutionnel d’autorité et de légitimation. Il n’a, en somme, pas la même marge de manœuvre.
Si l’entreprise se confond dans le personnage, elle prend le risque de vider la mascotte de sa capacité à être « à cheval » entre l’univers de marque et la vie courante sans prendre partie pour l’un ni pour l’autre : en cela la mascotte forme une médiation entre le consommateur et la marque.
L’incertitude est créative
En effet si la mascotte est en fait un personnage de marque, elle devient juge et partie. Elle ne fait plus office de témoin, d’entité intermédiaire, tampon, comme peuvent l’être les croyances populaires. La crédibilité de sa protection s’en trouve abîmée.
L’interprétation qui peut résulter de cette situation est la suivante : la marque ne fait confiance qu’à elle-même pour se protéger, donc pour garantir son succès. Ce qui est – nous l’avons vu – à l’opposé de l’esprit du mythe.
Si les marques veulent garantir solidarité au mythe et fonctionnalité en pratique, elles doivent au départ :
1 – Assumer la part d’incertitude constitutive à la réussite des actions à venir, dont elles récupéreront d’autant plus de crédit par suite (« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire« , Corneille).
2 – Et la déléguer à une entité extérieure, qui n’est pas elle mais lui appartient tout de même.
Une fois cette incertitude résolue dans le discours et dans les faits, la confiance établie n’en sera que plus légitime.
Une mascotte se dépossède autant qu’elle se possède
La mascotte est donc un vecteur d’arbitrage entre le monde du consommateur et celui de la marque. Si elle veut faire le lien, la mascotte devra s’apparenter à une figure de l’altérité, en évitant de redoubler l’argumentation déjà énoncée dans son apparition télé.
A partir du moment où elle tombe dans cette double posture de génération et de contrôle, elle se transforme en une extension marquée qui perd, par cette attribution, sa qualité d’arbitre (le Colonel Sanders en est un exemple criant).
Dans cette optique, si la mascotte doit alors rester étrangère à la marque mère, la mascotte peut devenir l’anti-héros, la figure négative (mais non l’opposant) de l’univers de marque et prendre en charge un discours que la marque ne peut se permettre : une audace inconsidérée, une spontanéité irréconciliable avec des objectifs spécifiques et mesurables et, par-dessus tout, une réussite implacable dans la moindre de ses entreprises.
À suivre…