PARTIE 3 – Socialisation
10 minutes
- Vol au-dessus d’un nid de contenu
- Forme de l’expression
- Substance de l’expression
- Forme du contenu
- Substance du contenu
- Autres exemples d’application
- Autoréférence et discours publicitaire
- Vivre et laisser mourir
Dans l’article précédent nous avions mis au jour les différents types de mascotte de marque à l’aide de notre carré sémiotique. Ils permettaient de comprendre que, à partir de leur différence, certains aspects de l’entreprise étaient privilégiés.
Dans ce dernier chapitre, nous rétrécirons encore le champ d’analyse avec une étude de cas portant sur des mascottes bien connues : celles de la marque M&M’s.
Pour enrichir la méthode, on fera l’analyse cette fois-ci avec l’appui du concept de signe chez Hjelmslev.
Le signe chez Hjelmslev comporte deux faces : l’expression et le contenu. Chacune est scindée en deux par la forme et la substance :

Pour guider la lecture en l’appliquant à notre cas d’étude, on simplifiera en disant que l’expression relève davantage de la texture et de l’attitude des mascottes. Tandis que le contenu relève de la signification, du poids plus conceptuel des faits et de leur confrontation à l’univers de marque.
Vol au-dessus d’un nid de contenu
Les mascottes M&M’s sont depuis de longues années les héroïnes d’aventures extravagantes en publicité télé. Elles ont, par rapport à des mascottes plus tutélaires, une place centrale dans la mise en récit.
On pourrait penser que leur création est aisée, qu’elles n’ont pas été très « pensées » car étant simplement le produit animé par l’image télévisuelle. C’est là qu’entre en jeu le concept Hjelmslevien du signe qui permet de dépasser cette évidence.
Forme de l’expression
Commençons par le plus immédiat, la forme de l’expression : les mascottes sont rondes et colorées, de texture lisse. Chaque visage avec une expression typique attribuée (douceur vs. aigreur, mais nous entrons ici dans le contenu). Notons que leur corps est aussi leur visage.
Mais le plus intéressant débute lorsque l’on regarde leurs membres. Des bras et jambes très artificielles comme en pâte à modeler de couleur chaire et qui semblent sans articulation. Comme si l’on pouvait les assembler et les désassembler à volonté. Similaires aux jouets Kinder Surprise pour ne pas les nommer. Elles ont donc ce qu’on peut appeler un aspect figurine.

Substance de l’expression
Ce choix de figurine n’est pas aléatoire. En effet, il permet aux mascottes de vivre et de se déplacer parmi le monde des humains. Les mascottes sont elles aussi dans des situations du quotidien : au bureau, au repas, chez le psy. Elles agissent comme des humains.
Leur présence exprime différentes postures face aux contextes. Elles imitent, ou tentent d’imiter les émotions et réactions humaines. Elles semblent toujours être là, par hasard, en vivant parmi nous, sans qu’on ait eu besoin de les y amener. Quid du M&M’s égaré dans le fauteuil ?
Forme du contenu
Passons au contenu. L’expression met en avant une réciprocité entre les deux mascottes (qui sont maintenant 3, voire plus selon certaines publicités). Elles incarnent, par leur personnalité antagonique, les diverses attitudes que les humains tiennent (pour éviter d’être mangées ?).
Cette opposition de personnalité permet de créer des situations burlesques. En effet, par l’écart entre l’attendu de ce que la situation impose et son résultat non conforme, elles démontrent une certaine vacuité des relations humaines. Leur coloration (i.e. forme de l’expression) est une manière de nuancer le code de conduite qui est suivi par l’une et incompris par l’autre.
Substance du contenu
Si ces mascottes sont colorées et lisses, c’est que leur chromatisme témoigne de leur position « idéologique ».
Comprendre ou ne pas comprendre les codes de socialisation, c’est se conformer ou ne pas se conformer. Leur manière d’être ne colle pas avec leur situation. Cela nous indique qu’avec M&M’s, on peut s’affranchir des codes et des réactions attendues par les autres.
Déférence, contrôle de soi, dignité… En somme le masque social qui permet la reproduction d’un code de conduite nécessaire au jeu de la sociabilité.
Partager des M&M’s, c’est s’autoriser un moment où l’on peut se libérer de ces injonctions, du conformisme. La « lisséité » de la texture, renvoi au conformisme. Mais une fois croqué, le bonbon laisse place à un chocolat plus sincère, fort et par extension, à la spontanéité, l’affirmation de soi.
Manger un M&M’s, c’est faire le passage de l’un à l’autre, métaphoriquement comme empiriquement.
Autres exemples d’application
Ce lien ténu entre surface et profondeur peut se retrouver sur d’autres mascottes que, par soucis de concision, nous avons résumé dans les tableaux suivants :

EXPRESSION | Forme | Rose, position debout |
EXPRESSION | Substance | Mouvement permanent, dirigé, Célérité |
CONTENU | Forme | Infatigable, Persévérance, Motivation |
CONTENU | Substance | Invincibilité, Transcendance, Inévitabilité |

EXPRESSION | Forme | Bleu, rond |
EXPRESSION | Substance | Yeux semi-clos, sourire calme, détendu, bras élancé, Tranquillité |
CONTENU | Forme | Contemplation, Assurance, Intégré, à l’aise, Adaptabilité, Stabilité |
CONTENU | Substance | Chaleur du foyer, Permanence, Sécurité |
On le voit la mise en récit des mascottes est primordiale. Elle n’est pas imaginée en dehors de sa substance naturelle ou artificielle, ni en dehors du discours de marque. C’est d’ailleurs en supportant les arguments de marque qu’elle agit.
Elles peuvent cependant ne pas « s’incruster » obligatoirement et imposée à la narration leurs péripéties. Certaines, considérées comme plus anciennes, restent en retrait et s’en tiennent à une posture totémique. Elles apparaissent d’ailleurs muettes dans leurs spots.
Autoréférence et discours publicitaire
La différence entre les « anciennes » et les « modernes », c’est avant tout le rapport qu’elles entretiennent avec le discours de marque en termes de distance et son incidence dans l’argumentation.
Les premières s’en tiennent à une relation de reconnaissance, par une posture d’exposition. Les secondes sont investies d’une compétence de modération, voire de persuasion, entre le spectateur et le produit.
Cependant, les rôles ne s’excluent pas mutuellement. La mascotte de marque peut endosser plusieurs rôles consécutivement au sein d’une même publicité. Au risque de créer un déséquilibre dans l’énonciation, dans la définition de son rôle et de ses objectifs.
La mascotte moderne – ou autoréférée – apparaît comme l’aboutissement, la finalité dans le parcours de création et de réalisation des mascottes. Elle est autoréférée car les mascottes et leur contexte énonciatif deviennent indissociables.

Cela se réalise lorsqu’il y a inversion du rapport entre l’objet de la publicité et l’instrument de son discours : le contexte énonciatif est devenu l’univers des mascottes. Ou inversement, la mascotte définit le contexte d’énonciation. Réalisé, quand cela est possible, par la personnification du produit en mascotte, comme chez M&M’s.
Quand auparavant la publicité parlait de ses produits par ses mascottes, elle parle désormais de ses mascottes par ses produits. Dans les deux cas, une mise en abyme opère à trois niveaux : le discours (publicitaire) est un discours (des mascottes) sur le discours (de marque).
Vivre et laisser mourir
Pour résumer les apports de ce dossier sur les mascottes, on proposera 3 grandes étapes pour la création et la gestion de la mascotte de la marque :
- La première étant bien sûr la création en fonction des éléments macro et micro environnementaux de la marque, de l’objectif de la mascotte et du média de diffusion.
- La deuxième étant l’association progressive à l’entité de marque. Le danger réside dans le redoublement de l’une par l’autre et leur superposition : leur différence faisant leur force, la mascotte doit apparaître petit à petit et ne peut s’autoréférer immédiatement.
- Si les résultats d’impact, de reconnaissance et d’agrément sont favorables, la troisième et dernière étape consistera pour la mascotte à se dégager progressivement de son géniteur : elle gagnera en indépendance et par cette distance, elle créera une médiation entre la marque et l’audience. Le bénéfice étant bien sûr l’utilisation libre et répétitif de la mascotte, favorable à l’impact, la reconnaissance et la réputation.
C’est en cela que les mascottes sont de puissants vecteurs, car elles décalent le regard. L’interprétant ne voit plus la marque, il voit le relais qui la désigne : la mascotte devient une énonciation qui fait écho à une source antérieure.
Par cette intermédiation, la marque s’en trouve gratifiée. Car elle s’octroie le pouvoir de faire émerger et rendre indépendant, c’est-à-dire créer et libérer, un produit (au sens mathématique), une entité, lointaine et pourtant similaire sur laquelle elle fait comme si elle n’avait plus autorité mais qui, malgré cela, permet de parler de sa production première : son produit et l’existence de son produit.