Garçon hurlant devant un micro

Quelques écueils de branding trop courants

7 minutes

  1. Style : parler de la bonne manière
  2. Structure : parler au bon endroit
  3. Fond : parler vrai
  4. Analyser pour ajuster

Style : parler de la bonne manière

« Nous sommes plus qu’un simple leader dans notre catégorie »

Page d’accueil, marque d’habillement

Le problème ici repose dans la tournure de la phrase. L’énonciateur cherche à affirmer son identité. Le contexte impose une affirmation et une valeur informationnelle au discours.

Mais il le fait d’une manière maladroite.

En effet, le « plus » ici, suggère qu’il reste quelque chose à apprendre. La marque veut créer de l’attractivité en disant « nous ne sommes pas ce que vous croyez ». Mais en utilisant cet effet de suspension avec le terme « plus » qu’elle associe à « leader », elle mésuse la quantitativité du terme. La polysémie du terme brouille le discours.

Peut-on être plus que leader ? Lorsqu’on est leader, on suppose qu’on a déjà atteint un niveau de performance très élevé.

Or, le style emprunté de la suspension informationnelle dessert le contenu, puisque ce que suggère l’énoncé, c’est qu’elle considère qu’être leader est une position banale, commune. Ce qui nous est confirmé par l’emploi du terme « simple ».

Peut-on être « simple » quand on est « leader » ? Si l’on suit la chaîne de production du sens, cette affirmation semble donc dévaloriser l’idée de mérite.

Bien sûr, on imagine que ce n’est pas ce que l’entreprise pense, ni ce qu’elle a voulu dire… mais le mal est fait. D’où l’importance d’un style qui ne sacrifie pas la discursivité à la forme.

Ce qu’elle a voulu exprimer dans cette phrase était plutôt, à le deviner :

  • Sa position de leader
  • Dont elle ne se satisfait pas puisqu’elle semble vouloir lutter contre le préjugé selon lequel la réussite confine à la paresse
  • Et enfin sa volonté de corriger dans la suite du message ce préjugé qu’elle combat jour après jour

Elle aurait pu, à choisir entre le fond et la forme, opéré de cette manière :

  • Par exemple : « Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers » si elle avait voulu appuyer l’idée d’une persévérance dans la performance.
  • Ou bien : « Vous nous connaissez comme leader de notre catégorie. Vous loupez l’essentiel » pour insister sur l’aspect suspensif et informationnel du message.

Il faut donc rester vigilant à ne pas utiliser un style qui induise des effets de sens non maîtrisés. Pour ça, mieux vaut rester simple et direct.

Structure : parler au bon endroit

« Hello, on fait connaissance ? »

Page « Qui-sommes nous ? », entreprise technologique

Le problème est de dire ou écrire ce qui est supposé dans la fonction. La page web accordée à votre identité est faîtes pour vous présentez. Vous n’avez pas besoin de le confirmer.

La signification ne réside pas uniquement dans les mots, mais aussi dans les parties, les « étages » de la fusée pour reprendre une métaphore actuelle.

Pensons aux règles du discours rhétorique chez Aristote qui suit un ordre précis, ou plus prosaïquement à une dissertation.

Chaque partie du discours possède sa fonction, vous n’avez pas besoin de l’exhumer, puisqu’elle s’inscrit dans la trame – elle est la trame – le squelette, l’architecture, etc.

Et quand bien même vous souhaitez mettre en valeur votre logique, celle-ci n’a rien à gagner à réapparaître (et être répétée de fait) de cette manière, mais bien plutôt en laissant la progression – la discursivité – faire le travail. En somme, n’ayez pas peur du vide.

Ne dîtes pas que vous dîtes, dîtes le pour quoi (et non le pourquoi).

  • Solution possible, un fait : « trente années d’existence à vos côtés »

Fond : parler vrai

« Un positionnement bien défini, une raison d’être éclairante, un storytelling cohérent, un territoire d’expression porteur de sens, un contenu de marque enrichi […] »

Page d’accueil, agence de communication

La répétition de ces compétences forme des tautologies : un positionnement est par essence définissable, comme le sont les autres compétences… On ne peut expliquer la situation d’un fait ou d’une action seulement par sa présence, aussi primordiale que puisse être sa « raison d’être » justement.

Bien entendu, le storytelling a tout à gagner à être cohérent, mais ce besoin de cohérence est tout aussi nécessaire à la création de contenu, bien qu’on lui privilégiera la complémentarité (qui appelle elle-même la cohérence dans la diversité).

En somme, la singularité de l’adjectif ne peut expliquer à lui seul l’adéquation avec la compétence qu’il précise. Aussi pertinent soit-il.

Il n’est d’ailleurs pas question de questionner la véracité de la parole, mais davantage la contraction du panorama de compétence qui suppose l’expansion et sa réduction stylistique.

Ici l’efficacité dialectique est préférée à la richesse du contenu. L’agence se fait juge et arbitre de sa propre compétence. L’appropriation de l’adjectivité avec la compétence réalisante construit une autoréalisation. Elle dit : « nous savons quel critère est nécessaire pour réussir cette tâche » sans tenir compte de la complexité du réel.

Dans ce cas est-ce plutôt un problème de style ?

Aussi. Car l’objectif est la conviction, par l’argumentation, sous forme de répétition.

Mais si c’est un problème de style, c’est également un problème de structure, car en y insérant toutes les compétences et leur preuve dans un seul paragraphe, on mutile le principe de la conviction, de l’argumentation et de la preuve, lui-même dépendant de l’enchaînement des idées.

  • Solution possible : sélectionner un exemple concret de réussite pour chacune des missions.

Analyser pour ajuster

En approfondissant les subtilités du texte, certes on complexifie la tâche de l’écriture. L’objectif n’est d’ailleurs pas d’identifier et de contester tous les effets de sens, ce serait une tâche beaucoup trop vaste.

L’analyse consiste simplement à rendre compte des déviations – volontaires ou non – qu’il peut y avoir dans des tournures insistantes. Gardons en tête qu’il n’existe pas de formule parfaite. On ira même jusqu’à dire que le sens jaillit de l’inadéquat, du décalage.

Dans cette optique, c’est à mettre au jour les incidences qu’a le fond sur la forme – et inversement – que sert l’analyse sémiotique. Son intérêt est renouvelé. Sa vérification analytique est vérification disciplinaire.


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